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dimanche 30 mai 2010

Autour des enjeux économiques de la reconstruction d'Haïti

La Cellule de Réflexion et d’Action Nationale (CRAN) des Jésuites et de la Société Civile d’Haïti a réalisé, le dimanche 23 mai 2010, sa réunion habituelle sur la cour du Noviciat des Jésuites à Tabarre.

Dans le cadre d’une série de formations et de débats organisés depuis près d’un mois par la CRAN avec des spécialistes et des experts, l’économiste haïtien Kesner Pharel fut invité à venir échanger avec nous sur les enjeux économiques de la reconstruction d’Haïti. L’intervention de Pharel devait nous aider à répondre à ces questions fondamentales: Quel est l'impact réel du séisme du 12 janvier sur l'économie haïtienne? Sur les principaux agents économiques? Comment ces derniers peuvent-ils concrètement aider à la relance de l'économie? Quel est le rôle de l'État, de l'entreprise (grande, petite et moyenne), des associations communautaires, de la coopération internationale, des ONG, etc.?

Kesner Pharel a dressé un bilan de « la situation du pays après le 12 janvier » et des décisions du Gouvernement haïtien sur la reconstruction du pays afin que nous puissions voir, en tant que Cellule, comment influencer ces décisions.

Le bilan des dégâts causés par le séisme

Il a commencé par souligner que le séisme du 2 janvier est l’une des catastrophes les plus graves (plus que celles du Guatemala, du Honduras, du Venezuela, du Bangladesh…) qu’ait connue l’humanité durant les 30 dernières années. Les pertes financières, matérielles et en ressources humaines ont été énormes. La tragédie a fait entre 250 et 300 mille morts, les pertes matérielles s’élèvent à 8 milliards de dollars américains. Le pays a également perdu ses richesses et ses actifs. Ces pertes énormes réduisent de manière considérable notre capacité de production. En outre, beaucoup de nos ressources humaines très qualifiées ont été péries, dans un pays où on en a le plus besoin ; cela nous affectera à coup sûr dans les prochaines années.

Le processus d’élaboration du plan gouvernemental de reconstruction

Dans ce contexte, la Banque Mondiale qui dispose déjà d’un instrument d’évaluation des dégâts après les désastres (le PDNA) l’a utilisé et, postérieurement sur la base de cette évaluation, a aidé le gouvernement haïtien à élaborer un plan de reconstruction d’Haïti pour 20 ans (jusqu’en 2030). Le Gouvernement haïtien a peaufiné son plan de reconstruction au cours d’une réunion en République Dominicaine. Postérieurement, il l’a présenté dans le Sommet de New York le 31 mars dernier.

Par ailleurs, le conférencier a souligné le manque de participation des partis politiques et d’autres acteurs importants dans le processus de préparation et de présentation de ce plan ; il a critiqué le manque de leadership du gouvernement haïtien qui n’a pas voulu rassembler les forces vives de la nation, partager le pouvoir et écouter les autres en vue d’impliquer tout le pays dans le processus de reconstruction du pays.

Les principaux éléments du plan gouvernemental de reconstruction

L’un des objectifs fondamentaux du plan gouvernemental de reconstruction est de convertir Haïti en un pays émergent. L’idée est de faire qu’Haïti devient un pays capable d’attirer des investisseurs, une société moderne, démocratique, avec une économie diversifiée, moderne également, ayant des ressources humaines qualifiées et surtout un indice de développement humain (composé de 3 indicateurs : l’espérance de vie, le taux de scolarisation et le revenu per capita) qui passe au moins à 0.7. Le conférencier a donné l’exemple de quelques pays, tels que l’Israël, le Singapour…, qui ont été aussi pauvres, mais, avec moins de ressources que nous, ils sont devenus des pays émergents. Il ne s’agit pas seulement de savoir combien de ressources le pays possède, mais quelle est la vision et quelle est la stratégie que nous avons. Il a aussi mis l’accent sur les conditions indispensables pour augmenter l’espérance de vie de l’Haïtien : par exemple, il faut améliorer notre système de santé, avoir un environnement sain, bien gérer la population et le territoire.

Il a exposé les 3 grands axes du plan gouvernement de reconstruction : la refondation territoriale, la refondation sociale et la refondation institutionnelle.
Pour la refondation territoriale, il a fait référence à une étude qui a été réalisée sur la répartition géographique des dépôts dans le système bancaire haïtien. Par exemple, 20% des dépôts est concentré dans le Grand Nord (environ 6 milliards de gourdes), 4 milliards de gourdes dans le Grand Sud et 85% des dépôts dans l’Ouest (contenant 40% de la population). Donc, seulement l’Ouest contient plus de 85% de l’ensemble des dépôts du système bancaire, et 15% pour toutes les autres zones. Il y a une très grande concentration et centralisation à Port-au-Prince. On comprend pourquoi quand Port-au-Prince est affecté par les tragédies, le pays est durement frappé. Il faut absolument décentraliser pour ne pas tout perdre au cours des éventuelles catastrophes naturelles (qui s’annoncent). Le conférencier a insisté sur la nécessité d’avoir des chiffres, des statistiques et d’autres données qualitatives et quantitatives pour mieux poser des problèmes, chercher des solutions et prendre des positions.

Dans cette refondation territoriale, Mirebalais (et toute la région dite transversale) deviendra l’une des villes les plus importantes parce qu’elle reliera plusieurs zones géographiques. Port-au-Prince restera la capitale financière, le Grand Nord sera un pôle de développement du tourisme.

Cette nouvelle redistribution territoriale s’impose en raison de l’éclatement territorial qu’a connu le pays suite au séisme du 12 janvier (par exemple, les déplacements massifs des personnes de Port-au-Prince vers les villes de province). Actuellement la population de la Capitale a diminué ; par contre, elle a augmenté dans d’autres zones telles que le Grand Sud. Il faut penser sérieusement à la décentralisation ; pour ce, il faut créer des pôles de développement économique, des ports, des aéroports, d’autres infrastructures...

Le plan gouvernemental de reconstruction prévoit aussi la refondation sociale dont l’éducation et la santé figurent parmi les éléments clés. Par exemple, il faudra créer une société apprenante où l’accès à l’éducation de base sera généralisé, l’innovation scientifique et technique sera promue et une université publique moderne sera créée en vue de façonner le nouveau modèle de citoyen. Par ailleurs, le conférencier s’est interrogé sur la qualité de l’éducation en Haïti ; puis, il montre l’importance d’investir dans l’éducation en vue d’avoir des ressources humaines qualifiées. Mais, fait-il remarquer, il faut avoir un bon système de santé et réduire la vulnérabilité de notre environnement… pour pouvoir conserver et prendre soin de ces ressources humaines et aussi pour augmenter notre espérance de vie. Donc, sans le social, on n’aura pas l’économique ni le territorial.

Le plan gouvernemental pose aussi la question de la refondation institutionnelle en vue de créer une nouvelle gouvernance. Cette refondation doit commencer par l’administration publique pour ensuite s’étendre au secteur privé. Le conférencier pose la nécessité pour les deux secteurs de s’ajuster aux nouvelles réalités, d’y découvrir les menaces et les opportunités en vue de se positionner avec une vision et une stratégie. Il a donné l’exemple de la République Dominicaine qui, tout en donnant un coup de main à Haïti après le séisme, profite des opportunités actuelles (dont les fonds promis mis et autres possibilités d’investissements et demandes de services). Alors que la diplomatie haïtienne est pratiquement morte, les Dominicains parlent d’Haïti partout dans le monde et organise des sommets sur la reconstruction du pays. D’où l’importance du diplomatique pour le social et l’économique.

La refondation institutionnelle comprend des grands thèmes, dont : la gouvernance, risques et désastres, secteurs sociaux, infrastructures (ports…), services productifs (agriculture, tourisme..), secteur transversal (jeunes, équité du genre, gestion de l’information). Concernant le thème « risques et désastres », le conférencier souligne qu’Haïti peut devenir un expert en la matière, si nous profitons de notre expérience (faire des recherches) en vue de la vendre postérieurement. Il y a également des sous-thèmes qui figurent dans la refondation institutionnelle, dont : la justice, la gouvernance administrative, les services publics.

Le conférencier a informé que 50% du budget du plan gouvernemental (5 milliard de dollars américains dont 2 milliards pour l’éducation) est alloué aux secteurs sociaux ; la BID serait très intéressée à appuyer l’éducation en Haïti. Le gouvernement prévoit également d’allouer des fonds très considérables d’argent à l’agriculture.