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lundi 8 mars 2010

Orientations stratégiques pour l’élaboration d’un plan de reconstruction d’Haïti

Préambule

Tout de suite après le séisme du 12 janvier 2010, les Jésuites d’Haïti, sur demande expresse de leur Supérieur Provincial, le Père Daniel Leblond, de nationalité canadienne, ont mis en place un dispositif d’urgence pour venir en aide aux populations sinistrées. Dans le combat contre l’adversité et le soutien aux sinistrés de la catastrophe, ils ont reçu le concours de la Société Civile de la République Dominicaine et des Jésuites d’autres régions du monde : États-Unis d’Amérique du nord, Europe, Afrique, Asie, Amérique latine etc.

Parallèlement aux actions de terrain visant l’apport d’une aide humanitaire substantielle aux sinistrés, une réflexion s’est, tout de suite, engagée sur l’impact et les conséquences matériels et immatériels du séisme sur les populations sinistrées et sur le pays en général : praxis de coopération internationale du moment par le biais de l’aide humanitaire d’urgence, souveraineté nationale, rôle de la Société Civile et de l’État Haïtiens dans le processus de reconstruction du pays.

• La « Cellule de Réflexion et d’Action » des Jésuites et de la Société Civile est un produit du confluent « actions-reflexions »

• Par la création de la « Cellule de Réflexion et d’Action » les Jésuites et les organisations de la Société civile veulent faire oeuvre pérenne et continuer d’accompagner le peuple haïtien, ses leaders et la communauté internationale dans les efforts à déployer à court, moyen et long terme pour la reconstruction d’Haïti.

• L’objectif est double :
Accompagner la société civile haïtienne et amener les décideurs politiques, les responsables internationaux à agir dans le sens des intérêts réels de la population haïtienne dans le processus de reconstruction du pays.

Offrir aux populations et à la Société Civile nationales un espace inclusif, ouvert et non partisan de rencontre, d’échange et de réflexion en vue de participer de manière effective à la reconstruction du pays à travers la production et la mise en œuvre d’un nouveau projet de société pour Haïti.

• Le texte que la « Cellule » met sous vos yeux, aujourd’hui, n’est nullement un document technique sur la reconstruction, mais une proposition d’orientations stratégiques, une « tentative » d’apporter une contribution à l’effort national de penser un projet de refondation de notre pays. Le geste est conforme à l’exigence cent fois relatée qu’un nouveau projet de société pour Haïti doit être élaboré par et pour les Haïtiens en réponse aux besoins réels du pays.
• Consciente que la société civile est complexe et traversée par des courants divers, opposées et des intérêts divergents, la «Cellule de Réflexion et d’Action» réaffirme sa foi en la possibilité de créer un consensus national autour des grandes questions et des valeurs essentielles qui fondent notre existence comme peuple et dont dépend notre survie individuelle et collective.

• Il est clair que ce projet ne doit pas être imposé de l’extérieur; ni parachuté par les agences multilatérales et les gouvernements étrangers; au contraire, il doit jaillir de notre génie de peuple, de notre riche patrimoine historique, social et culturel, de nos formes multiples de résistance.

• La démarche de la « Cellule de Réflexion et d’Action », aujourd’hui, invite l’ensemble des organisations de la Société Civile haïtienne et tous ceux qui se sentent concernés à se l’approprier après y avoir apposé leur touches de critiques par des ajouts ou des retraits.

I.- État des lieux

1.1.- Haïti avant le 12 janvier 2010

Situation de pauvreté extrême avec un revenu moyen de US $ 1.00 dollar par tête par jour, Haïti figure parmi les plus pauvres de l’Hémisphère occidentale en rapport avec l’indice de développement des Nations Unies. C’est également le pays le plus inégalitaire en matière de distribution de revenus; car selon les études économiques les plus récentes, dix (10) pour cent des personnes les plus riches reçoivent cinquante (50) pour cent du revenu national. Il en résulte une exclusion sociale marquée qui prive la majeure partie de la population d’emplois rémunérateurs, des services sociaux de santé, d’éducation et de protection sociale.

Cette situation inégalitaire s’accentue au niveau de la répartition géographique des services fournis. En effet, la concentration à Port-au-Prince des principales infrastructures administratives, économiques et sociales, en a fait une mégalopole incapable de fournir à la population les services indispensables d’électricité, d’eau potable, de ramassage des ordures ménagères. L’exode rural devient incontrôlable, les villes de province qui devaient servir de relais à la migration vers Port-au-Prince, ne sont pas en mesure de jouer leur rôle, faute d`infrastructures.

Et en dépit des provisions constitutionnelles pour la mise en place et le renforcement des collectivités territoriales, ce qui permettrait d`étendre les services de base à un plus fort pourcentage de la population, les lois d'application tardent à venir, reléguées au second plan des priorités d'hommes politiques obnubilés par la permanence au pouvoir de leurs acolytes.

Des objectifs mondiaux pour le millénaire du Développement sont fixés (OMD), un document intitulé "DSNCRP" élaboré pour le Gouvernement avec l’assistance technique et financière du PNUD et de la Banque Mondiale. Cependant, le financement attendu pour la mise en œuvre de ces instruments était bien en deçà des déclarations d’intention des agences externes au cours de réunions internationales à grand renfort médiatique. Il s’ensuit qu’en janvier 2010, la plupart des programmes et projets du DSNCRP tardent encore à voir le jour. Il faut également mentionner comme l’une des causes, si ce n`est pas la principale, l’effet dévastateur des trois cyclones de 2008 qui ont conduit les instances concernées à reporter momentanément, certaines priorités définies dans les instruments susmentionnés.

1.2.- Haïti après le 12 Janvier 2010

1.2.1.- Évaluation des dégâts
• Des centaines de milliers de morts et de sans abris
• Destruction de Léogane, de Gressier, de Port-au-Prince, du Palais National et du Centre Gouvernemental, des dégâts considérables à Jacmel, Grand Goave, Petit-Goâve...
• Destruction des principaux symboles politiques, sociaux et spirituels du pays : Palais National, Palais de Justice, Palais Législatif, les Ministères, l’Administration Générale des Contributions, de cathédrales, d’églises et d’écoles
• Désarticulation totale des principales institutions du pays
• Affaissement quasi total de l’autorité de l’État.
• Grandes vagues migratoires de la capitale vers les campagnes et les villes de province qui sont déjà confrontées à de graves problèmes économiques et sociaux
• Aggravation de la situation alarmante décrite plus haut et un pays au bord d’une catastrophe humanitaire et d’une crise sociopolitique sans précédent.

1.2 2.- Afflux de l’aide humanitaire

• Non coordination de l’aide internationale et Insatisfaction de la population.
• Impression que la communauté internationale œuvre dans l’indéfinition et la cacophonie la plus totale.
• Interventions réalisées en fonction des intérêts stratégiques de chaque intervenant sans tenir compte des besoins et préoccupations des représentants naturels du peuple haïtien et des sinistrés.
• Forums internationaux à tenir en dehors du pays avec le leadership des gouvernements occidentaux et des agences multilatérales, sans participation effective des principaux acteurs de la société haïtienne.


II- Orientations stratégiques

2.1.- A court terme

a) Remettre sur pied les principaux symboles de l’autorité de l’État : Palais national, Palais de justice, tribunaux, polices nationale, DGI, etc. dans le cadre d’un nouveau projet de refondation du pays

b) Résoudre les problèmes des abris provisoires : coordination de l’aide humanitaire internationale, logement des familles, soins de santé

c) Donner une large participation aux cadres techniques et professionnels haïtiens dans les tâches de constructions d’abris et autres habitats.

d) Remettre le secteur agricole à produire, avec la pleine conscience du fait que la dynamique d’aide ne peut être qu’éphémère. Rôle central à accorder aux paysans et à leurs organisations.

e) Lancer un vaste plan de construction de logements sociaux pour relocaliser les gens des bidonvilles de la région métropolitaine de Port-au-Prince et des villes dévastées

f) Promouvoir un leadership soucieux de la refondation de l’État dans une dynamique qui rassemble les forces vives de la nation et porte les populations organisées a s’imposer en interlocuteurs des intervenants internationaux, notamment, l’inclusion de sinistrés ou de leurs représentants légitimes dans les clusters et forums qui envisagent le lendemain et le devenir du pays

g) Coordonner, harmoniser et orienter les actions stratégiques tendant à résorber la crise sur toute l’étendue du territoire

h) Rouvrir les ports au commerce extérieur du Cap-Haïtien, de Port-de-Paix, de Fort-Liberté, des Gonaives, de Saint-Marc, de Petit-Goâve, de Miragoane, de Jérémie, des Cayes et de Jacmel

i) Appeler toutes les compétences haïtiennes disponibles en Haïti et à l’étranger pour qu’elles apportent leur quote-part au combat national pour la survie de leur pays

j) Organiser la Société Civile en vue de la porter à s’associer aux efforts tendant à donner le branle à un vaste mouvement national et citoyen visant à poursuivre la lutte contre l’adversité, à réfléchir et faire des propositions quant au nouveau projet de société requis pour Haïti

k) Porter la communauté internationale à reconnaître et respecter les efforts des organisations haïtiennes qui réfléchissent sur les options à prendre pour le relèvement de la nation et la reconstruction du pays au lieu de tenter de se substituer à elles

l) Rendre opérationnelles sur une base citoyenne les cellules communales de gestion de risques et désastres par la mise en place de brigades de secouristes équipées en vue d’intervention rapide en cas de nouvelles catastrophes

m) Concevoir et exécuter une campagne nationale de motivation et d’information sur les comportements à adopter à l’occasion des cyclones et des tremblements de terre

n) Créer dans un premier temps au niveau des départements les plus vulnérables des centres départementaux d’équipements pour des interventions d’urgence en cas de catastrophe

o) Lancer un vaste programme de création d’emplois à haute intensité de main-d’œuvre dans les zones sinistrées et un peu partout dans le pays

p) Lancer un programme de remise sur pied des infrastructures d’éducation détruites (primaire, secondaire, universitaire). Appui aux principales institutions éducatives privées

q) Réouverture effective des classes dans les départements les plus affectés

r) Prise en charge immédiate de l’école haïtienne : viatique aux professeurs décapitalisés et éprouvés, scolarité des élèves pour le reste de l’année, dotation des écoles en « unités préfabriquées" (portable schools). Les bâtiments mêmes classés « verts » par les experts ne seront pas immédiatement utilisables. Parents et élèves abhorrent le béton!

s) Poursuivre l’implantation des infrastructures de base dans les Grandes Régions, à savoir, Routes, télécommunication, Électricité, Port, Aéroport

t) Créer une structure autonome pour la planification et la gestion de la Reconstruction du pays

u) Donner le branle à un processus tendant à l’organisation d’un grand débat inclusif, seule option méthodologique appropriée pour la participation de l’ « Haïti en dehors » (haïtiens vivant à l’étranger, paysannerie, populations marginalisées etc.) dans les questions nationales

v) Mise en place d’associations de sinistrés pour permettre surtout à ceux qui ont perdu des biens considérables (biens meubles et immeubles) de relancer leur vie économique

2.2.- A moyen et long terme :

a) Publier la charte des Collectivités Territoriales avec les lois d’application sur le fonctionnement des collectivités territoriales de sections communales, de communes et de conseil départemental.

b) Actualiser le schéma d’Aménagement du Territoire et les potentialités régionales.

c) Subdiviser le pays en Régions en fonction de certaines affinités territoriales et des exigences de développement.

d) En accord avec les conclusions du débat inclusif, mettre en place des infrastructures administratives déconcentrées dans le pays, telles les Archives Nationales, l’Immigration, l’Office National d’Identification, renforcer les structures sectorielles déconcentrées.

e) Élaborer, au moyen de la méthodologie de la recherche action-participation, des plans et programmes régionaux et départementaux qui tiennent compte des spécificités de chaque région et département et des nouvelles stratégies de développement adoptées pour le pays.

f) Implanter dans d’autres régions ou dans les départements, de vrais campus universitaires offrant aux étudiants de ces régions des variétés de carrières répondant aux potentialités régionales et aux standards mondiaux d’éducation au niveau supérieur

g) Implanter des parcs industriels en dehors de Port-au-Prince.

h) Ouvrir le pays à l`investissement privé en accordant plus de facilités aux investisseurs nationaux et aux étrangers désireux de s’implanter dans les régions en dehors de Port-au-Prince.

i) Favoriser le regroupement des collectivités territoriales en vue de fournir à leur population des services incombant à la commune et que cette dernière ne serait pas en mesure de fournir seule étant donné la limitation de ressources financières générées.

j) Adapter le système fiscal haïtien en fonction des nouvelles exigences de la décentralisation administrative

III.- MESURES D’ACCCOMAPGNEMENT URGENTES POUR RENDRE POSSIBLE LA RECONSTRUCTION

3.1.- Pour gérer la refondation du pays, mettre en place immédiatement UNE COMMISSION AUTONOME NATIONALE POUR LA RECONSTRUCTION formée de représentants crédibles de l’État et de la société civile haïtienne et appuyée en majorité par d’excellents experts haïtiens de l’intérieur du pays et de la diaspora haïtienne.

3.2.-En vue d’arriver à la stabilité politique requise pour la reconstruction, faire démarrer le PROCESSUS DE CONCERTATION, D’ACTION ET DE MOBILISATION POUR LA TENUE D’ELECTIONS CREDIBLES DANS LE PAYS.

3.3.- Pour bien asseoir la refondation d’Haïti que la mise en œuvre d’un nouveau plan d’action pourra amener, il importe de PARTIR DE NOUVEAUX PARADIGMES : PARTICIPATION, COMPÉTENCE, VALORISATION DES RESSOURCES LOCALES, UTILISATION INTELLIGENTE DE LA COOPÉRATION FINANCIERE ET TECHNIQUE INTERNATIONALES, d’une NOUVELLE MYSTIQUE nourrie des valeurs inhérentes à notre identité de peuple, de notre riche patrimoine historique et culturel.

3.4.- Il est important de REFAIRE LE PELERINAGE DE L’ARCAHAIE du 18 mai 1803 afin de RASSEMBLER LE PEUPLE HAITIEN AUTOUR D’UN IDEAL COMMUN, celui de contribuer par la solidarité à l’amélioration des conditions de vie du peuple haïtien dans toutes ses composantes. La récupération de ces valeurs perdues suppose une action à long terme qui doit commencer à l’école par la RÉINTRODUCTION DANS LE CURRICULUM SCOLAIRE DE L’ENSEIGNEMENT DE L’INSTRUCTION CIVIQUE afin de raviver le sentiment d’appartenance à cette nation haïtienne conquise de haute lutte en 1804.

3.5.- Il est urgent de créer chez l’enfant haïtien CETTE CULTURE DU RISQUE qui lui fournira les comportements à adopter face aux catastrophes naturelles susceptibles de frapper Haïti.

3.6.- Compte tenu de la place prépondérante de la religion dans la société haïtienne, il convient de donner à certaines valeurs religieuses une place importante dans le processus de refondation de la nation: LA SOLIDARITÉ ET LE PARTAGE, LE RESPECT DU BIEN COMMUN ET SPÉCIALEMENT DE L’ENVIRONNEMENT, LE RESPECT DE LA VIE ET DE LA PERSONNE HUMAINE, LA SUBSIDIARITÉ, LA DESTINATION UNIVERSELLE DES BIENS, etc.



Ceux qui adhèrent aux principales idées de ce document peuvent apposer leur signature. Il sera envoyé aux principaux décideurs, à la presse nationale et internationale, etc…

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