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mardi 16 février 2010

Réflexions des jésuites d’Haïti et des représentants de la société civile haïtienne sur la nouvelle situation créée par le séisme du 12 janvier 2010

Rapport No 2
Notre réflexion au cours de la rencontre du 31 janvier sur la cour du noviciat sj de Tabarre s’est faite autour des thèmes suivants: La nécessaire collaboration avec d’autres entités de la société civile dans cet effort de réflexion, la question de la souveraineté nationale, l’élaboration d’un projet de société dans le cadre de la reconstruction du pays, la stratégie à adopter pour mobiliser la société civile haïtienne et influencer les décideurs.

I.- Travailler en synergie avec les autres entités de la société civile
Un grand nombre d’organisation de la société civile, de partis et d’organisations politiques tant en Haïti que dans la diaspora haïtienne réalisent un travail important de réflexion sur la situation actuelle et font des propositions pour la reconstruction du pays. Il est urgent pour notre cellule d’action et de réflexion de faire l’inventaire de ces différentes entités, de travailler en synergie avec elles et ainsi s’enrichir mutuellement. La création du blog : Réflexion citoyenne : Jésuites et société civile en Haïti, se situe dans cette perspective. Notre démarche est essentiellement citoyenne et n’a aucun caractère partisan. Parmi ces entités de la société civile nous citons : la Confédération des Haïtiens pour la Réconciliation (CHAR), le Centre Nationale de Recherche et de Formation (CENAREF), des groupes d’universitaires haïtiens, d’intellectuels et de professionnels Haïtiens-Québécois, d’ingénieurs civils Haïtiens, le secteur syndical, la Fondation pour le Développement intégral : Haïti, Amérique Latine, la Plate-forme Haïtienne de Défense des Droits humains, le Programme Alternatif de Justice (PAJ), l’Institut Culturel Karl Lévêque (ICKL), Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), le parti «Respè» de Charles Henri Baker etc.
II.- Coopération internationale, souveraineté nationale et mondialisation
Le séisme du 12 janvier dernier a converti Haïti, pour le meilleur ou pour le pire, en un point de mire pour la communauté mondiale. De grandes rencontres internationales réunissent autour de la situation d’Haïti des États d’une part, des agences multilatérales dont celles des Nations-Unies, des organisations non gouvernementales d’autre part. À Montréal, les pays créanciers se sont rencontrés pour parler de reconstruction et des fonds à prêter à Haïti ; à New-York, Agences des Nations et organisations non gouvernementales se sont retrouvé autour d’une table pour se partager les tâches dans la gestion de l’aide humanitaire sur le terrain. L’absence de l’État haïtien est de plus en lus visible malgré le cri du Premier Ministre Jean Max Bellerive à Montréal, réclamant haut et fort le droit légitime pour le gouvernement haïtien d’assurer le leadership du processus de reconstruction du pays.
La tension est visible entre Américains et Français par exemple autour du contrôle de l’Aéroport International Toussaint Louverture de Port-au-Prince, entre Américains et Vénézuéliens, entre Américains et Cubains autour des espaces à occuper dans la gestion de l’aide humanitaire. Haïti s’est donc converti en un terrain de luttes géopolitiques et idéologiques d’une part entre les puissances occidentales, d’autre part entre les États-Unis d’Amérique et les États de la zone ALBA tels que le Vénézuela, Cuba etc. Ces tensions s’expriment sur le terrain dans les difficultés réelles de coopération entre des équipes de secouristes ou de médecins à l’intérieur des centres de soins médicaux ou dans des opérations de sauvetage sur le toit d’un édifice effondré à Port-au-Prince. Par ailleurs on observe, dans certains coins du département du sud-est, à La Montagne plus précisément, des équipes de militaires américains engagées dans des opérations de recherche dans des grottes ou dans d’autres endroits. Ce qui n’a pas grand-chose à voir avec l’aide humanitaire qui est supposée être l’unique motif de leur présence dans le pays.
Dans un pareil contexte, comment parler de souveraineté nationale? L’État haïtien est-il encore un acteur capable de fixer les règles du jeu pour les différents acteurs qui interviennent dans le pays aujourd’hui ? Certains affirment que, dans le contexte actuel de la mondialisation, il est vain de parler comme avant de souveraineté nationale. On va vers une plus grande coopération entre les États. Ils citent en exemple le cas de l’Union Européenne. Il faut mettre de côté une vision de la souveraineté nationale qui s’apparente à celle du Front National de Jean-Marie Le Pen en France. D’autres affirment par ailleurs que le nationalisme en Haïti a été toujours une idéologie bourgeoise, un discours confiné dans les classes aisées de la société. Un discours creux puis que ceux qui parlent de nationalisme sont toujours prêts à chercher la nationalité étrangère et à envoyer leur épouse accoucher à l’étranger. Les couches populaires pauvres se montrent toujours méfiantes vis-à-vis des élites qui les ont exploitées et qui ont pillé le Trésor Public tout le long de l’histoire nationale. Elles n’éprouvent, selon eux, aucune difficulté à accepter une occupation étrangère pour vu que cette dernière leur garantisse le minimum vital. L’idéologie nationaliste n’est qu’une arme politique utilisée par les fractions des classes possédantes dans leurs luttes pour le contrôle du pouvoir.
Finalement la mondialisation ne supprime pas les rapports de domination entre le nord et le sud ; elle n’efface pas non plus le rôle central de régulation et de gestion que doit jouer l’État au sein d’une communauté nationale donnée. Par ailleurs on reconnait que la faillite totale de l’État haïtien, son divorce d’avec la société, lui enlèvent toute possibilité réelle de remplir son rôle de régulation et de gestion. Il existe un réel problème de leadership et de gouvernance dans le pays. L’État haïtien s’est effondré littéralement. Par ailleurs, certains reconnaissent que cet État a toujours été un État faible, mais que de leur côté, les acteurs internationaux, depuis les années 1960, avec l’importance que commençait à prendre la question de l’aide externe, n’ont jamais voulu coordonner leurs interventions dans le pays avec le gouvernement haïtien. Ils ont chacun leur agenda et leurs intérêts. Ils expriment un certain pessimisme quant à la volonté des États occidentaux d’aider Haïti. Aucun pays ne s’est développé avec la coopération externe. Ce sont les Haïtiens eux-mêmes qui doivent travailler au développement de leur pays, élaborer un projet de nation. Par ailleurs, on doit être intelligent et tirer partie des antagonismes qui existent dans les relations entre les puissances étrangères. L’action d’Hugo Chavez en Haïti dans le domaine de l’énergie par exemple est motivée en grande partie par les luttes d’influence qui l’opposent aux États-Unis d’Amérique.
La situation actuelle du pays nous invite á être pragmatiques et à ne pas nous enliser dans des débats stériles. Le tremblement de terre met à nu les problèmes du pays, les limites de notre culture, de nos leaders et de la formation des jeunes.
III) Projet de société, reconstruction ou refondation de la nation
La situation actuelle nous offre l’opportunité unique de penser un projet de société pour Haïti, un projet de refondation nationale ; et ce projet doit être conçu et mis en œuvre par les Haïtiens eux-mêmes. Nous ne pouvons pas partir de néant ; Il importe de tenir compte de ce que nous avons déjà : nos professionnels qui sont sur place et les nombreux autres qui sont à l’étranger, nos diverses formes de résistance culturelle, les modes d’organisations du peuple dans les domaines social, économique etc. Il est important aussi de partir des nombreuses études très sérieuses qui ont été déjà réalisées dans divers champs par des experts haïtiens et étrangers et qui gisent dans les tiroirs de nos Ministères. Certaines ne méritent qu’à être actualisées.
Ce projet doit viser une réforme en profondeur des structures étatiques qui comprendra le renforcement de la gouvernance politique tant au niveau central que local, l’aménagement du territoire, la réhabilitation du tissu social, notamment de la famille, la décentralisation des services publics, la promotion de l’investissement productif national et étranger, une transformation des mentalités, la réconciliation de l’État avec l’Enseignement supérieur et la recherche. Les gouvernants haïtiens n’ont jamais pris en compte, dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques, des résultats des travaux de recherche et se sont enlisé dans la routine et l’incompétence. La reconquête de notre souveraineté nationale doit donc passer par le renforcement de l’État. Dans la perspective de cette refondation, il est nécessaire d’engager un dialogue constructif entre les trois acteurs incontournables : L’État, la société civile et l’internationale. Cette refondation qui devra s’inspirer de notre riche patrimoine historique et culturel, implique également l’émergence d’une nouvelle culture politique basée sur le respect du bien commun, la transparence dans la gestion de la chose publique, la participation citoyenne, le respect du droit et de l’État. Cette culture politique nouvelle émergera surtout de l’école à tous les niveaux : primaire, secondaire, professionnel, universitaire. D’où l’urgence d’une réforme sérieuse de notre système éducatif. Il nous faut inventer une nouvelle éducation qui forme à la créativité, à la participation et au sens de la responsabilité.
L’Université a joué un rôle central dans le développent socio-économique d’un grand nombre de pays, notamment chez nos voisins de la République Dominicaine. La refondation du pays doit se faire aussi avec l’Université. Dans cette perspective, Il est nécessaire de repenser l’Enseignement supérieur ; de mettre en place une grande université moderne pour Haïti, adaptée aux besoins de la société, capable d’accueillir les nombreux jeunes sortis de l’enseignement secondaire, de former des cadres compétents dans tous les domaines et d’apporter ainsi une contribution réelle et efficace au développement du pays. La formation de nos jeunes à l’étranger entraîne une fuite de cerveaux et de capitaux extrêmement préjudiciable au développement d’Haïti.
IV.- Stratégie de communication, mobilisation de la société civile et les décideurs
La création du blog intitulé : réflexion citoyenne : jésuites et société civile en Haïti, a pour finalité non seulement d’assurer la plus grande diffusion possible de nos réflexions, mais de donner à tous tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, la possibilité de participer à notre effort de penser et d’œuvrer à la refondation de notre nation. Ce blog sera relié à d’autres en vue de faciliter une plus grande diffusion et une meilleure participation. Ces réflexions seront diffusées également en plusieurs langues, dans les médias nationaux et internationaux, dans la capitale comme dans les villes de province. Elles devront être envoyées aussi à des réseaux jésuites et autres susceptibles de nous aider à faire de l’incidence politique. Nous les communiquerons aux partis et organisations politiques, aux agences nationales et internationales, aux responsables d’ongs et d’autres organisations de la société civile. La finalité de cette stratégie de communication consiste à mobiliser la société civile haïtienne toute entière, les citoyens comme les groupes organisés, et à influencer les décideurs tant nationaux qu’internationaux pour que la reconstruction du pays se fasse au bénéfice des Haïtiens.

Notre prochaine séance de travail abordera le thème suivant : le rôle de la société civile haïtienne dans la reconstruction du pays

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